Dans le cadre du concours de plaidoiries organisé par le mémorial de la paix de CAEN, Cléo Chatagnat, élève de 1ère ES a été sélectionnée pour passer en finale régionale à Lyon le mercredi 19 décembre 2018.
Le jury était composé de différents représentants d’associations prestigieuses, impliquées dans la défense des Droits de l’Homme, comme Amnesty International ou en lien avec le Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation de Lyon, ainsi que de l’ancien bâtonnier de Lyon.
9 jeunes sélectionnés sur toute l’académie avaient été retenus pour cette étape.
Cléo a effectué une performance remarquable, sur un sujet très difficile et complètement d’actualité, dont le texte est reproduit ci-dessous.
Elle a été reçue 3ème !
Elle peut être très fière d’elle et elle a été chaleureusement félicitée. C’était la première fois qu’une élève du lycée de Vizille participait à ce concours depuis qu’il existe.
Voici son texte de plaidoirie :
«Femmes et Yézidies, la double peine. »
« Je vais vous raconter l’histoire d’une jeune femme prénommée Dalal, irakienne, qui appartient à la minorité yézidi. Elle vit actuellement en Allemagne. Elle avait 16 ans, lorsqu’elle a été capturée par Daesh, l’âge que j’ai aujourd’hui.
Un jour, son frère est arrivé et leur a dit qu’il y avait des combats dans les villages voisins. Ils se sont réconfortés en se disant que les autorités kurdes étaient là pour les protéger. A 3h de l’après midi, l’état islamique était entré à Rardan, son village. Personne n’a osé dire quoi que ce soit. Dalal savait que Daesh égorgeaient les hommes mais pas qu’ils capturaient les femmes et qu’ils les violaient.
Dalal a été enlevée le 3 aout 2014, elle est restée entre leurs mains jusqu’au 4 avril 2015. 9 mois en captivité. Les combattants arrivés ce 3 aout venaient de partout ; de Turquie, d’Égypte, l’un d’eux venait même d’Allemagne. Elle a été battue sauvagement par un homme et s’est ensuite évanouie. Quand elle a repris connaissance, elle a su qu’elle avait été violée parce qu’elle saignait et qu’elle avait très mal au bas ventre. Après, ils l’ont vendue à un homme qui s’appelait Habu Mustafa. Quelques semaines après, il l’a revendue au docteur Habu Rissami. Ils l’ont emmenée hors de la ville, le docteur l’a fait entrer dans une maison abandonnée, il l’a déshabillée en lui déchirant ses vêtements et il l’a violée en lui disant « je te prends ». Elle se demandait « Pourquoi je suis une fille ? » « Pourquoi je suis punie ? » « Pourquoi moi ? » « Comment pourrais-je encore être une femme après avoir été vendue ? » . Elle aurait préféré mourir comme ses frères. Elle ne cesse de se demander « Pourquoi n’arrête-t-on pas Daesh ? Pourquoi ne sont-ils pas traduits en justice ? Pourquoi ne sont-ils pas en prison ? ».
Je me pose aussi ces questions car ce sont des actes graves commis contre une population civile dans le cadre d’une attaque généralisée et systématique pour des motifs d’ordre ethnique et religieux.
Il s’agit donc d’un crime contre l’humanité comme le définit l’article 7 de la Cour pénale internationale, et plus particulièrement d’un génocide, qui en est une forme particulière.
En effet, un rapport de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme, paru en octobre 2018, présente des témoignages qui relatent avec d’atroces détails la violence psychologique et physique, dont les femmes et filles étaient victimes ou témoins lorsqu’elles étaient entre les mains de leurs ravisseurs étrangers. Elles étaient constamment frappées et torturées, elles étaient affamées et leurs besoins vitaux médicaux et sanitaires étaient ignorés. Elles étaient également soumises à des violences sexuelles en permanence. De nombreuses captives furent vendues sur des marchés aux esclaves et sur des sites internet spécialisés, via les applications Telegram et Signal. Ils permettaient d’acheter des femmes ou des enfants, au milieu des annonces de ventes d’armes ou de voitures.
Ce rapport montre bien une atteinte de 4 actes génocidaires sur les 5 définis par la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide.
Ce projet génocidaire de Daesh a entraîné crimes de masse, conversions forcées à l’Islam, dispersions brutales des familles et réduction en esclavage des femmes et enfants survivants, considérés comme des butins de guerre.
Par ailleurs, nous savons que la religion yézidie n’est pas le seul prétexte de ce génocide, le genre de cette minorité en est aussi un, parce que les hommes sont tués, alors que les femmes, elles, sont torturées et violés. Et la souffrance est pire que la mort.
En 2017, l’Assemblée Parlementaire du Conseil Européen fixe comme priorité l’obligation d’assurer une protection contre la violence fondée sur le genre à toutes les femmes.
Je ne suis pas kurde, je ne suis pas irakienne. Je n’appartiens pas à la minorité Yézidie. Ai-je pour autant moins de légitimité qu’une jeune fille yézidie, kurde, ou irakienne pour défendre cette cause ? Pourquoi défendre une cause impliquant notre propre communauté lorsque d’autres nous révoltent encore plus ? Je suis une jeune femme et je me sens donc concernée par ce qu’elles subissent.
Elles sont plus de 3000 encore en Irak, entre leurs mains. Chaque minute est déjà de trop, chaque seconde leur est comptée. Pendant que je vous parle, encore des dizaines, des centaines de ces femmes, se font violer et se font battre. Nous ne pouvons plus attendre, car elles ne peuvent plus attendre.
Nous avons les témoignages de Nadia Murad qui a obtenu le prix Nobel de la Paix cette année et qui a été nommée ambassadrice de l’ONU pour la dignité des victimes du trafic d’êtres humains, ou encore de Jinan, qui ont été toutes les deux victimes de ces sévices. Elles ont écrit des livres autobiographiques sur ce qu’elles ont vécue qui sont disponibles dans pratiquement toutes les bibliothèques. En Allemagne, nous voyons se profiler les premiers procès contre l’état islamique pour génocide et autres crimes internationaux. Les choses commencent à bouger, donc rien n’est impossible ! Ces femmes qui luttent ont espoir. Alors maintenons leurs espoir et poursuivons la lutte avec elles, pour elles.
Ici, devant vous, je ne suis rien. Je ne représente rien et je ne fais le poids devant rien. Mais je vous demande, je vous conjure, de vous questionner, d’en parler, car c’est en en parlant qu’on fait bouger les choses. Du bouche à oreille naissent les indignations.
J’exhorte le Conseil de Sécurité de l’ONU à entreprendre une démarche permettant de saisir la Cour pénale internationale.
Je demande au Parlement européen d’organiser un débat dans le cadre du suivi des conclusions du Conseil sur l’Irak datées du 22 janvier 2018 et des résolutions du Parlement européen datées du 4 février 2016 sur le massacre systématique des minorités religieuses par l’etat islamique et du 4 juillet 2017 sur les violations des droits humains dans le contexte des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, dont le génocide.
J’appelle la République arabe syrienne à soutenir une Commission d’enquête internationale indépendante sur le génocide perpétré par Daesh contre la minorité religieuse yézidie.
J’appelle à ce que l’Irak, gouvernement qui se dit démocratique et fédéral, qui proclame garantir dans sa constitution la liberté religieuse, la liberté de pensée, la liberté de conscience et de croyance, ratifie le Traité de Rome afin qu’il intègre la Cour pénale internationale. Ainsi les coupables irakiens pourront être poursuivis en justice.
Je demande qu’on inclue les charges de crimes sexuels dans la poursuite des djihadistes, poursuites jusqu’à présent limitées à la lutte contre le terrorisme.
Je demande que ces femmes violées reçoivent une assistance adéquate dans le pays d’accueil pour surmonter le traumatisme qu’elles ont subi dans leurs pays d’origine.
Dalal ne souhaite pas la mort de ses bourreaux, elle veut un procès pour qu’ils aillent un prison, pour qu’ils comprennent ce qu’elle a subit, ce qu’elles subissent toutes, car la mort serait beaucoup trop facile. Mourir est un échappatoire mais pas une sanction.
Je réclame, à l’exemple de la Suède et de l’Allemagne, que des enquêtes soient menées sur les membres présumés de Daesh qui relèvent de notre juridiction.
Mon but est d’avoir les noms de djihadistes français responsables de ce génocide, et d’ouvrir leurs procès en France, en Allemagne, ou dans le reste de l’Europe.
Il faut aussi sensibiliser le monde à la situation des femmes victimes de violence fondée sur le genre. Nous avons des preuves humaines sur ses crimes, ces femmes qui reviennent d’Irak, tyrannisées, traumatisées, qu’attendons nous ?
J’appelle à la solidarité envers ces femmes, j’en appelle à notre devoir de citoyen qui est de les aider. La lutte ne vient que de commencer et nous devons la continuer tous ensemble, mains dans la main. Ayons espoir avec elles !
Pour que plus jamais être femme et yézidie en Irak, ne soit une double peine !
Cléo Chatagnat, 1ère ES, décembre 2018
compte rendu rédigé par Hélène Lieugard